Perte d'emploi, estime de soi, désarroi et espoir

Publié le 17 Novembre 2011

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Fragments de vie

 

Un homme me joint par téléphone. Il a la cinquantaine. Directeur Supply Chain depuis une dizaine d’années dans une grande entreprise, il recherche un consultant pour un outplacement. Nous nous sommes rencontrés une première fois il y a quelques jours. Quand souhaite t-il commencer ? - J’ai tout d’abord besoin de prendre quelques semaines. Je vous rappellerai, me répond-il.

Une femme est assise en face de moi dans mon bureau. Elle a fait une longue partie de sa carrière dans la même société. Digne, elle explique « qu’on ne lui a pas retrouvé de poste lors de la dernière réorganisation, qu’elle a quelques mois pour chercher en interne. Qu’elle n’y croit pas ». Silence.

Un jeune cadre m’appelle. Son employeur m’avait prévenu. Je propose un rendez-vous. Réponse : - Je suis en arrêt maladie. J’ai fait un burn out.

L’homme est élégant. Sa voix est imperceptiblement lasse. Son histoire, un changement de responsable. Il n’a rien vu venir.

Quatre exemples parmi tant d’autres. Des hommes et des femmes, de tous âges, de toutes responsabilités. Chaque fois, ce qui me frappe à l’écoute des récits individuels, c’est l’enchevêtrement inextricable des espoirs, des attentes, des incompréhensions réciproques, parfois des trahisons. Et au bout de la route, inévitablement, des organisations sous pression, désarmées, qui se protègent et un gâchis immense.

Il y a également tous ces récits de conflits d’intérêts, de rivalités d’Ego, d’incompatibilité d’humeur ou d’organisations à la peine, à la fin desquels l’outplacement constitue pour celui qui part, le point ultime d’un parcours et un billet vers un nouveau futur à construire.

 

L’exclusion de l’entreprise

 

La perte d’emploi, même accompagnée de dispositions compensatrices, soustrait au salarié un cadre qui contribuait à l’expression de son identité et à sa capacité à se projeter dans le futur. Elle intervient souvent au terme d'un processus complexe, éprouvant, quelques fois souterrain,  parfois tumultueux, source potentielle de sentiments de culpabilité, d’échec personnel, de s’être fait avoir, de colère, d'exclusion.

 

Dans des proportions variables selon la signification psychique profonde de la rupture, la confiance en soi du salarié et l'estime qu'il se porte sont mises à l’épreuve, parfois jusqu'au désarroi, ce sentiment d'impuissance et de perte des repères. On entendra alors de la part de l’entourage que le salarié n’a pas encore "fait son deuil" de la perte de son emploi. L'expression, mise un peu trop rapidement en équation à partir des écrits d'Elisabeth Kübler-Ross, notamment On  Death and Dying (1969), est devenue une ritournelle. Elle devrait toutefois attirer davantage l’attention, car le lien est fort, comme on le sait depuis Freud, entre les états de deuil et les états dépressifs.

 

L’outplacement ou transition de carrière a été développé pour apporter soutien et conseil aux salariés placés dans ces situations. Sa pratique s’est étendue depuis les Etats-Unis à différents pays d’Europe. A titre d’exemple, il a été légalement défini en Belgique comme « un ensemble de services et de conseil de guidance fournis individuellement ou en groupe par un tiers, dénommé ci-après “prestataire de services”, pour le compte d’un employeur, afin de permettre à un travailleur de retrouver lui-même et le plus rapidement possible un emploi auprès d’un nouvel employeur ou de développer une activité professionnelle en tant qu'indépendant (CCT82 du 10 juillet 2002) ».

 

L’outplacement est un coaching de positionnement professionnel. Il est coaching par la réflexion que le salarié conduit à cette occasion sur sa façon d’être aux autres afin de développer ses compétences relationnelles et accroître ainsi les chances de retour à l’emploi. C’est un coaching de positionnement, au sens marketing du terme positionnement, tant la recherche d’un emploi est devenue inséparable de son expression sous la forme d’une offre de service qui répondra à une attente, un besoin, un problème d’une entreprise, ou d’un marché dans le cas d’un projet de création ou de reprise. L’outplacement, avec ses spécialistes, ses dispositifs empruntant aux techniques du bilan de compétences, au coaching, au conseil en orientation et aux techniques de réseaux, offre un cadre de substitution provisoire à la relation de travail, au sein duquel le salarié peut se définir de nouvelles perspectives et mettre en œuvre une stratégie de repositionnement.

 

Cette rationalité ne doit pas pour autant faire oublier que la perte d’emploi est, comme l’expression l’indique, une perte. Perte de ressources, perte de statut, cela va de soi, mais aussi, perte de ce qui faisait  au plus profond de la personne, l’enjeu émotionnel de son activité professionnelle et qui trouvait à s’exprimer par les liens tissés avec son environnement travail. Lorsque Daniel Goleman écrit dans Emotional intelligence (1995), « The emotional vicissitudes in marriage also operate in the workplace, where they take similar forms.», il met le doigt sur le fait que la personne est une, par delà les rôles qu’elle peut prendre ou se voir assigner, et que ce qui se joue sur une scène se joue sur d’autres, fut-ce de façon tout à fait méconnaissable.

 

La perte d’emploi débouche sur une réalité plus large et profonde que les seuls effets juridiques et financiers  de la rupture du contrat de travail. Quelque chose d’autre a été perdu à cette occasion qui a à voir avec la personne toute entière. C’est pourquoi le coaching d'outplacement ne saurait se résumer à aider le bénéficiaire à« définir un projet professionnel et à faire du réseau », même si c’est là sa finalité la plus visible et naturellement la plus attendue. La relation établie entre le coach et le bénéficiaire est comme le métier à tisser sur lequel se met en place la trame qui permettra au bénéficiaire de restaurer en lui cette chose perdue.

 

Mise en perspective

 

De nos jours, la perte d’emploi survient dans un contexte marqué par une crise économique  sans précédent et une crise du management qui ne parvient pas, depuis trente ans, à capitaliser sur un savoir, ce qu’illustre la succession des modes dans ce domaine. Tout semblait pourtant avoir bien commencé: à la fin des années 70, les entreprises connaissent des transformations profondes qui suscitent un renouveau de l’espoir.


1982. Thomas J.Peters et Robert H.Waterman publient In Search of Excellence, traduit l’année suivante en français sous le titre Le Prix de l’Excellence et bientôt vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde. Après avoir étudié la réussite de plusieurs dizaines d’entreprises internationales, leurs conclusions sont claires: le temps des bureaucraties industrielles et de leurs pesantes hiérarchies s’achève. Le message des auteurs est un appel pressant à l’écoute du client, à la qualité du produit, à la réactivité, aux lignes hiérarchiques courtes, à la remise en question permanente, aux valeurs humaines. Les entreprises qui gagnent sont celles qui estiment leurs salariés : « Treat people as adults. Treat them as partners ; treat them with dignity ; treat them with respect. Treat them, not capital spending and automation, as the primary source of productivity gains. These are fundamental lessons from the excellent companies research ».

 

La décennie suivante montra rapidement les faiblesses du discours: échecs des entreprises montrées en exemple et montée du stress. Un ouvrage comme celui de Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac, Le coût de l'excellence (1991) annonce la montée en puissance des risques psychosociaux. Mais la vision de Peters et Warterman  accompagnait un mouvement de transformations  managériales en correspondance avec de nouveaux modes de création de valeur. Le changement venait aux entreprises comme une seconde nature, à la fois nécessité et signe de modernité.

 

1996. Fondation de la Société Française de Coaching. Des techniques jusqu’alors réservées à quelques cadres dirigeants s’étendent à des franges de salariés de plus en plus larges. L’efficacité des organisations s’est mise à reposer toujours plus sur la capacité individuelle de ceux-ci à interpréter des situations non prévues, voire inédites, et à trouver en eux les flexibilités nécessaires aux exigences toujours croissantes de la concurrence. Les besoins d’apprentissage à cette adaptabilité permanente s’accroissent, d’autant que la croyance dans les vertus du leadership, c’est à dire dans celles des talents individuels des managers empêchent la diffusion des outils de l’analyse sociologique des organisations qui permettraient à celles-ci de prendre conscience des effets systémiques qui les gouvernent.

 

 Années 2000. Les conditions de la concurrence et les exigences de la rentabilité rendent nécessaire une implication toujours plus grande des salariés dans l'exécution de leur travail. Olivier Vassal note très bien dans Crise du sens, Défi du management (2005), que le besoin accru de réactivité des entreprises conduit à « l’impossibilité dorénavant de concevoir le travail uniquement sous les angles du quoi et du comment (…) la dimension du pourquoi, en conférant son sens au travail, permet de mobiliser les compétences au bon moment dans un environnement de travail où l’autonomie est par la force des choses devenue la règle ».

 

Nous sommes à un moment de l’Histoire où il est demandé au salarié d’investir comme jamais un large éventail de ses ressources psychiques dans la réussite de l’entreprise. La perte d'emploi est ainsi susceptible de devenir de plus en plus fréquemment synonyme de carence des qualités personnelles.

 

L'estime de soi, fil conducteur du repositionnement professionnel

 

Comparant les cultures françaises et américaines, Gilles Asselin écrit, dans Au contraire ! Figuring out The French (Intercultural Press. 2001) : «Americans base their awareness of self on the assumption that their individual actions will bring results and lead to greater personal development and advancement. (…) The term self esteem can be created in French (estime de soi), but it does not exist in common parlance and is not used as in the United States. Estime in France is an expression of the respect and appreciation you show towards others, not yourself ».  La culture française n’a pas l’encouragement facile. Comme le dit l’adage, on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure.

 

Le regard porté par l’autre sur soi a pourtant un impact sur la valeur que l’on se fait de soi et de là, sur le développement de ses capacités personnelles. « J’ai senti dans ses paroles que je ne valais rien et je me suis demandé alors ce que je valais, j’étais devenu le problème », me rapporte ce chef de département en conflit avec son responsable hiérarchique.

 

La perte d'emploi crée un point aveugle, un amoidrissement de la reconnaissance de soi. Bien des personnes se demandent, en début d’outplacement, « Qu’est-ce que j’indique sur ma carte de visite ? ». Privé d’emploi, le salarié s’interroge sur ce qu’il est advenu de son identité, dans le regard d’un employeur potentiel, de son entourage, et bien sûr, de lui-même.

 

D’autres indiquent: « Je suis chez le cabinet d’outplacement depuis le… ». La rupture du contrat de travail provoque un déficit de lien social et plus profondément, un vide qu’il est nécessaire de contenir. Le cabinet sert ici de contenant à ce vide, délimitant un espace inscrit dans celui de la cité, et comme tout lieu, à la fois géographiquement repérable et symboliquement identifiable.

 

Ce vide, la personne privée d’emploi le ressent également dans son organisation quotidienne. On ne s’arrête sans doute pas suffisamment sur l’expression: « Je m’occupe de … », pour dire que je travaille à, sur, pour. L’emploi du verbe s’occuper peut souligner qu’il y a là l’appréhension d’un ennui à masquer. Ennui que l’on retrouve dans le « Je ne me vois pas rester à rien faire chez moi ». Le temps désormais disponible n’est pas du temps libéré. Le salarié privé d’emploi se trouve confronté à du vide relationnel.

 

Une personne que je coachais me rapporte : « Nous étions un groupe de cadres. Chacun se présentait en précisant le consultant qui le suivait. Alors, j’ai dit, parlant de mon coach : - Je suis suivi par le Docteur Untel ». La rupture du contrat remet en cause des équilibres intimes, peut rendre malade. Une demande de soin s’exprime. Si l’accompagnement par le coach a une visée réparatrice qu’il convient de reconnaître, la polysémie du verbe suivre doit attirer notre attention. Etre suivi ne renvoie pas qu’à un univers d’aide, mais aussi à celui de la persécution. Etre suivi, être pisté.

 

Paul Ricoeur a écrit que si l'on peut se penser comme un autre, c'est que l'autre est constitutif de soi-même (Soi-même comme un autre. 1990). L'attention portée par le coach à la restauration de l'estime de soi est pour cette raison essentielle. Elle est cet autre constitutif de ce soi-même qui va encourager la personne à entreprendre un dialogue avec elle-même et avec tous les autres. Un dialogue qui ouvrivra de nouveaux espaces porteurs d'espoir.

 

PROCHAIN ARTICLE: JEUDI 15 DECEMBRE. PENSEZ A VOUS ABONNER.

Rédigé par michel Bré

Publié dans #Transition de carrière

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